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Un échange sur le travail productif avec Jean-Paul Petit

La lettre de Jean-Paul Petit

Suite à la publication de ce billet, j'ai reçu un courrier de Jean-Paul Petit qui poursuit la discussion. Je le reproduis ici avec son autorisation, en y joignant une courte réponse.
Bonjour,
J’ai pris connaissance de vos remarques, sur votre blog, à propos de l’article de la revue L'Anticapitaliste concernant votre livre Le profit déchiffré. Trois essais d’économie marxiste.Vous exprimez un regret et un étonnement.
Pour ce dernier point, je vous envoie l’article original qui a dû être diminué pour des raisons de maquettage de la revue (pour faire connaître votre livre aux lecteurs, la photo de la 1ère de couverture est utile et les choix sont bien souvent difficiles). La référence à J.-M. Harribey aurait certainement dû disparaître en absence de développement complémentaire, mais cela a été maintenu pour éventuellement indiquer au lecteur d’autres sources.
En ce qui concerne le regret de ne pas avoir précisé dans votre livre que la circulation (des marchandises) n’est pas le transport et réciproquement, je vous donne acte que j’ai eu tort de laisser croire qu’il en est ainsi. L’évocation du transport n’était ici que comme exemple, cas particulier et comme bien souvent un exemple peut éclaircir ou au contraire réduire un concept. La circulation des marchandises concerne le passage de marchandise de son état particulier à son équivalent général et réciproquement (M vers A, consommation et A vers M’, investissement pour un nouveau cycle de production). C’est le domaine couvert par le terme général d’activité commerciale, secteur qui couvre les commerces de gros ou de détail, grands ou petits, proprement dits et le secteur bancaire pour partie. Ces secteurs emploient un grand nombre de salariés, le terme est important. Ces travailleurs (euses) salariés (ées) sont-ils (elles) productifs (ves) de plus-value ou improductifs (ves) ? Des salariés ayant une fonction commerciale (service « commercial », bureau « des achats ») dans une entreprise productive de plus-value (PSA, Airbus par ex) produisent de la plus-value comme membre d’un collectif productif, et improductif de plus-value s’ils sont salariés d’une entreprise commerciale (Auchan, Carrefour par ex) ? Manifestement la marchandise qui entre est identique à celle qui sort dans le commerce ! Manifestement le travail des salariés (de la circulation) de l’un ou de l’autre type, commercial ou industriel, d’entreprise est le même. Le caractère productif ou improductif (de plus-value) n’est pas lié au type de travail du (de la) salarié(e), mais au fait qu’il (elle) exerce dans une entreprise dont le but est le profit, une entreprise capitaliste autrement dit, au bénéfice exclusif des propriétaires/actionnaires, ou dans un autre type d’entreprise (vraie coopérative, service public...). La différence entre un service public et une entreprise capitaliste (du même secteur) est que le premier ne fait pas de profit, la seconde cherche le profit. Cette distinction implique que le premier est improductif au sens capitaliste du terme, le second est productif. Ici est le lien avec J.M Harribey et d’autres (Friot...) : de larges secteurs publics sont productifs, Education nationale, Hopitaux Publics, etc… , productifs de valeurs d’usage ; mais pas au sens capitaliste du terme qui ne s’intéresse qu’à la misérable valeur d’échange. C’est pour cela que calculer un taux de profit « marxien » en ajoutant  aux revenus du capital les revenus des improductifs est, en ce qui me concerne, problématique. Les valeurs d’usage du secteur public sont partagées par un large public, enfants, malades... qui ne sont pas des capitalistes  bénéficiant de services domestiques.
Il faut combattre avec les mots : productif/improductif n'a pas le même sens pour le commun des mortels que pour un théoricien marxiste, au détriment du second. Pour de nombreuses personnes, entre autres les militants qui s’activent pour changer ce monde, de nombreux fonctionnaires font un « vrai travail », sont productifs, et pour ceux, infime minorité, qui profitent réellement de ce monde injuste, ces mêmes fonctionnaires sont des inutiles paresseux. Malheureusement ce sentiment est partagé par de nombreux dominés. Renversement des mondes !
Pour terminer, la circulation de la marchandise n’ajoute pas de valeur à celle-ci, mais tous les travailleurs (euses) salariés (ées) sont, par-delà la tâche réalisée, producteurs (rices) de valeur ajoutée. Il est de l’intérêt pour le combat en vue de l’émancipation des opprimés, pour un vrai socialisme, un vrai communisme (ce qui impliquera la disparition probable de tâches spécifiques au capitalisme), de tout faire pour regrouper ces travailleurs (euses).
Je vous remercie, M. Darmangeat, de m’avoir obligé à préciser mes propos et il sera toujours un plaisir de vous lire, c’est dans le but de faire connaître votre livre que la revue a publié cet article imparfait.
Cordialement.
JP Petit

L'article original in extenso

A propos du livre « Le profit déchiffré. Trois essais d’économie marxiste » (Christophe Darmangeat)
Sans aucun détour, il faut lire cet ouvrage qui expose en trois parties les concepts et processus de l’économie marchande capitaliste. L’exposé est toujours clair, pédagogique au sens noble du terme, cherchant à expliquer sans simplifier et rendre compréhensible les processus économiques que bon nombre d’auteurs, sans le vouloir peut-être, obscurcissent. Il est toujours souhaitable d’appréhender le plus scientifiquement possible la réalité, et même si ce n’est pas toujours suffisant pour faire évoluer positivement, dans l’intérêt de la grande majorité, les réalités sociales et économiques, cela permet à tout le moins de marcher lucidement.
La première partie présente les principales étapes de la pensée économique et lève l’énigme du profit. L’exposé sur la théorie économique classique, actuellement l’alpha et l’oméga de la pensée dominante et de l’action de nos gouvernants est percutant et montre en quoi cette théorie n’est que pure idéologie. Les deux parties suivantes sont plus ardues, sur travail productif et improductif et sur la rente.
Travail productif et travail improductif : le travail de la sphère de la circulation est-il productif ?
Classiquement la production de valeur n’est que le résultat de l’action de la force de travail humaine qui a comme source la différence entre la valeur de cette force et la valeur crée par celle-ci dans un temps d’activité donné. Sans une différence notable aucun accroissement de valeur n’est possible en terme économique.
En économie capitaliste, il faut distinguer le moment de la production et le moment de la circulation et seul le premier serait créateur de la plus-value réelle, donc productif.
« Plus profondément, considérer que le travail de circulation serait productif de plus-value remet en question les fondements mêmes de la théorie marxiste de la valeur. Celle-ci postule en effet que l’échange tend par nature, en économie marchande, à être un échange d’équivalents : or pour qu’une telle affirmation ait un sens, il faut que l’équivalence préexiste à l’échange. Par conséquent celui-ci pour chacun des échangistes, modifie la forme de la valeur, non sa grandeur. Admettre que ce changement de forme soit susceptible de créer une nouvelle valeur obligerait à reconstruire entièrement le raisonnement de  K. Marx depuis la première pierre. (…) Il n’existe aucune raison convaincante de rejeter la distinction opérée par K. Marx au sein du secteur capitaliste entre le travail de production et celui de circulation. Ainsi qu’il l’avait établi en cohérence avec le reste de la théorie, seul le premier est productif au sens strict. Le travail de circulation – insistons à nouveau pour dire que ce terme doit être entendu de manière étroite - est pour sa part bel et bien improductif de plus-value » p 138
Ce paragraphe affirmatif pose question. La sphère de la circulation comporte elle-même divers domaines, la circulation monétaire, la banque, d’une part et la circulation physique des marchandises (le secteur du commerce). Si il est de bon sens de dire qu’un produit (une marchandise en terme capitaliste) ne change pas de valeur entre la sortie du lieu de production et le lieu où il est vendu/acheté, quid des bateaux, trains, camions, avions et des salariés qui conduisent ces appareils. La valeur de ces matériels est-elle transmise aux marchandises transportées, les salariés aux ordres de capitalistes des sociétés de transport produisent-ils de la plus-value ? Il y a deux réponses à la question : la valeur est transmise et le produit est finalement produit en fin de « chaine », lors de la vente et sa réalisation dans son équivalent monétaire. Car une marchandise qui reste sur son lieu de production primaire sans être vendue  n’est tout simplement pas une marchandise au sens capitaliste. La seconde solution est de dire que les coûts de transport des marchandises est à la charge soit du producteur, diminuant d’autant la masse de plus-value revenant dans la poche de ce dernier ; soit de l’acheteur de la première marchandise, ce qui fait qu’au total il en achète deux sans le savoir, l’une matérielle, l’autre immatérielle, un service : le transport.
La question n’est pas pour autant résolue. En effet quelle distinction établir entre le routier qui transporte une automobile d’Aulnay ou de Flins aux succursales ou la vente est réalisée et le cariste de ces mêmes usines qui déplace les différentes pièces des différents lieux de productions vers la chaîne de montage (à moins qu’ils ne soit remplacé par une chaîne d’alimentation automatisée) : le premier ne produit pas de plus-value, le second si, comme tous les travailleurs qui participent à la construction du véhicule, de l’ingénieur au monteur en passant par les agents des méthodes, les acheteurs des différents produits nécessaires à la production, le personnel d’entretien, comme il est dit quelques pages précédentes « Sur un autre plan, en revanche, l’économie capitaliste impose d’élargir le concept de travail productif (..), la production dans la mesure où elle repose sur une division poussée du travail, englobe dorénavant des travailleurs qui n’y sont pas impliqués de manière directe. Pour raisonner sur le travail productif, (..) il suffit de dire pour le moment que, selon K. Marx, tout membre de ce travailleur collectif qui produit des marchandises doit être lui-même considéré comme productif, quand bien même il ne participe pas directement au travail de production. (…) Il s’agit néanmoins d’une condition nécessaire, mais non suffisante (..) encore faut-il qu’ils produisent de surcroît cette substance particulière qu'est la plus-value.» (p.114) La production de plus-value suppose un travail salarié, un rapport de subordination permettant au possesseur du capital de s’approprier le surtravail, contrairement au travailleur indépendant possesseur de ses outils et qui vends sa production. Un(e) salarié(e) participant à la circulation de la marchandise comme travailleur collectif dans la production est productif(ve), comme salarié(e) d’une entreprise de transport est improductif(ve)  (pas de plus-value). Le capitaliste qui achète des moyens de transport et qui embauche les salariés qui vont les mettre en œuvre reçoit en contre partie des services de transport qu’il réalise de quoi amortir son capital constant et de récupérer la valeur des salaires engagés assortie d’un complément qui représente le taux moyen de profit du capital total engagé, en vertu de la loi de péréquation du taux de profit, sans quoi il n’y aurait pas d’entrepreneur de transport, ce complément ne représente pas la vente d’une plus-value produite par les salariés de cette entreprise.
Ce qui est vrai pour la circulation physique des marchandises est vrai pour la circulation de l’équivalent général des marchandises, l’argent. Les transactions financières peuvent se faire à la vitesse de la lumière des millions de fois, aucune valeur nouvelle n’est créé. Mais là comme ailleurs il ne faut pas confondre le banquier et l’employé de banque !
Quel est l’enjeu du débat ?
Y aurait-il donc des travailleurs vraiment productifs, produisant de la plus-value, exploités et d’autres improductifs, les seconds en quelque sorte « parasites » comme la bourgeoisie des premiers ? « Lorsqu’il aborde la question de leur position de classe, loin d’insister sur ce qui séparerait les deux catégories de salariés, K. Marx souligne au contraire ce qui les réunit. Occupant une position différente au sein du système de production capitaliste du point de vue de la création de valeur, travailleurs productifs et improductifs ont en commun d’être des facteurs directs de l’enrichissement de leur employeur, en percevant sous forme de salaire moins que ce qu’ils rapportent. Tous sont des exploités, possèdent le même ennemi et le même intérêt de classe. » (p. 143)
Les productifs produisent la plus-value, les improductifs diminuent les frais de circulation des marchandises.
L’enjeu fondamental se trouve ailleurs.
Dans le cadre de la théorie de l’économie classique, actuellement dominante, il n’y a pas de distinction entre travail productif et travail improductif. Le possesseur de capitaux employant un domestique pour son service personnel ou de sa famille ou un ouvrier travaillant dans son usine ne fait pas de différence entre le salaire de l’un et de l’autre, il achète « l’utilité de la force de travail » payée à son juste prix. Le domestique produit une valeur d’usage, un service directement consommé par le capitaliste, l’ouvrier produit des marchandises dont la valeur marchande est accrue du surtravail non payé. La distinction travail productif, travail improductif fait apparaître l’origine de l’augmentation de richesse du capitaliste dans le travail de « l’ouvrier » alors que dans la théorie classique il y a comme une génération spontanée de valeur, vertu de l’argent agissant comme capital, contrairement à l’argent comme revenu. Cette distinction permet de ramener à sa juste place la théorie économique classique à une  pure justification idéologique de la domination bourgeoise. A quoi bon se coaliser, exiger un code du travail protecteur des travailleurs (euses), un meilleur salaire ne peut être que le résultat d’une plus grande « utilité ». Dans le mode de production capitaliste il n’y aurait que des échanges justes, l’accroissement de richesse est mystérieuse, ou «  l’œuvre de Dieu » ( ce qui revient au même ).
Les salariés « improductifs » au sens qu’ils ne produisent pas de plus-value, produisent des valeurs d’usage qui sont bien souvent nécessaires au fonctionnement global de la société capitaliste, qui ne prend en compte que les valeurs d’échange. Cette remarque amène l’auteur à écrire : «  Lorsqu’on cherche à prendre en compte l’opposition entre travail productif et improductif dans les études empiriques à partir de la comptabilité nationale, on en vient nécessairement à reconstituer un taux de plus-value et un taux de profit « marxiens » en ajoutant aux revenus du capital les revenus des improductifs. Une telle opération pose deux redoutables problèmes de méthode. (…) A supposer qu’il soit possible de reconstituer  ces taux « marxiens » (supérieurs aux taux observés), il resterait à expliquer par quelles voies ceux-ci influencent la réalité. » (p.149). Cette position est redoutable car plaçant de fait les salariés improductifs (de plus-value) dans le camp « objectif » des capitalistes.
Est évoqué J.M Harribey qui a replacé le concept de travail productif au centre de l’attention. « Il s’agit fondamentalement de forger une nouvelle approche théorique des services publics, (...) la théorie libérale et l’approche marxiste partagent l’erreur de considérer que les services non marchands sont improductifs et financés, via l’impôt, par une richesse créée ailleurs, dans l’économie privée. Il s’agit de renverser cette perspective et qu’en réalité les travailleurs des services publics créent de la richesse. » (p.156). Il conviendrait de corriger K. Marx par J.M Keynes. Il semble de bon sens de dire que les services des ponts et chaussées qui mettent à la disposition des routes produisent une richesse à l’image des concessionnaires d’autoroutes qui exigent un péage. L’Education Nationale met à disposition des entrepreneurs une force de travail dont la formation aurait incombé à chacun d’entre eux, renchérissant le coût direct de la force de travail. Si l’éducation est assurée par des entreprises capitalistes, les capitaux investis devront rapporter le taux moyen de profit, sous peine de désertion des investisseurs. Même si il n’y a pas de production de plus-value, finalement pour l’économie capitaliste (comme ensemble) les services publics sont probablement plus rationnels qu’une privatisation généralisée, bien que les Partenariats Public Privée (PPP) soient pour des secteurs particuliers du capitalisme des fromages particulièrement gouteux.
En conclusion partielle, si la distinction entre travail productif (de plus-value) et travail improductif est importante pour mettre à jour la création de richesse et invalider la théorie classique de la création de valeur immanente du capital, cette distinction enracine dans l’économie réelle la lutte des classes. Du point de vue de l’émancipation des travailleurs, la distinction productif/ improductif est pratiquement sans importance. Un bémol cependant en ce qui concerne les salariés des organismes de maintien de l’ordre, police, armée … Comme par hasard ce sont les seuls secteurs qui recrutent actuellement.
La rente
Le cadre conceptuel de la rente est particulier. En effet selon la loi de péréquation du taux de profit, il faut distinguer la valeur et le prix de production. Ce dernier permet de fournir au capitaliste possesseur des capitaux d’acheter les intrants et de payer les salaires des travailleurs qui vont produire, un taux de profit (retour sur investissement) moyen, normal, sans tenir compte de la composition organique du secteur d’activité. Le secteur employant beaucoup de producteurs salariés ne reçoit pas la totalité de la valeur de la plus-value produite, le secteur automatisé recevant plus que la plus-value produite directement, les capitalistes ne sont pas attachés à une activité particulière, ils cherchent la meilleure rentabilité possible, ou au moins un même niveau. La rente apparaît dans des secteurs d’activités ou un moyen de production est limité, n’est pas extensible, comme la terre, les ressources minières (rente foncière). Dans ces secteurs les prix de production ne sont pas déterminés uniquement par un taux de profit moyen, mais par le coût de production marginal de la dernière unité du produit satisfaisant le marché, produite dans les conditions les plus défavorables en tenant compte que le capitaliste dans ces conditions souhaite obtenir au moins le taux de profit moyen. Il en résulte que les capitalistes produisant dans des conditions plus favorables (meilleures terres, mieux situées, meilleurs mines, meilleurs puits de pétrole …) pourraient obtenir des surprofits. Il devra les partager avec le propriétaire du sol ou du sous-sol qui veut sa part du gâteau, à moins que le capitaliste et le propriétaire ne soient confondus en une seule entité.
Ces différences de « fertilité » expliquent la rente différentielle, le surprofit est théoriquement destiné au propriétaire de la ressource (terre, mine …), mais le propriétaire du plus « mauvais sol », dans la mesure où il est nécessaire veut aussi une rente, dite absolue.
La rente est concomitante de la propriété privative. Elle résulte d’un contrat.
Toutes les notions évoquées sont explicitées dans l’ouvrage de Christophe Darmangeat qui constitue une excellente propédeutique pour la science économique.

Ma réponse

Bonjour
Il n'est pas toujours facile de se comprendre, a fortiori lorsque le sujet (comme c'est le cas ici) est difficile, que chaque prise de position renvoie (ou semble renvoyer) à des prises de positions antérieures, et que les contraintes éditoriales obligent à des choix qui peuvent compromettre la clarté. Mais, comme c'est le cas ici, le dialogue permet de dissiper les malentendus... quitte à mieux mettre en lumière les divergences.
En l'occurrence, nous sommes donc d'accord sur ce qu'est le travail improductif que j'ai appelé « au sens strict » : celui qui n'est pas rémunéré par du capital, mais par une dépense de consommation, et dont le domestique est l'archétype. Nous sommes également d'accord sur le fait que tous les salariés du secteur capitaliste, quelle que soit la nature de leur occupation, concourent aux bénéfices de leur employeur et que dans ce sens (mais dans ce sens seulement) ils peuvent être dits productifs.
Là où nos routes se séparent, c'est sur les travaux qui relèvent de la circulation (la vente et l'achat, le prêt, l'assurance, etc.). Il n'y a que deux possibilités : soit ces travaux ne sont pas créateurs de valeur ajoutée, et donc de plus-value. Il faut par conséquent distinguer les salariés qui les accomplissent, à titre secondaire, de ceux qui produisent des marchandises (matérielles ou non) - ceux que j'appelle les travailleurs productifs au sens strict. Soit les travaux de circulation sont créateurs de valeur au même titre que ceux qui concourent à la production des marchandises, et la distinction n'a pas lieu d'être. La première solution est celle de Marx. La seconde est celle d'un certain nombre de marxistes (dont J.Gouverneur, D.Houston, D.Laibman, etc.).
Je suis tout prêt à reconnaître qu'on touche là à un des points les plus délicats de la théorie de la valeur, et qu'on ne saurait écarter l'une ou l'autre position d'un revers de main ; c'est d'autant plus vrai que rien, dans la réalité, ne permet de les départager et qu'on ne peut avoir recours qu'au seul raisonnement. Il me semble néanmoins que vous exprimez une contradiction insoluble lorsque vous écrivez que « la circulation de la marchandise n’ajoute pas de valeur à celle-ci, mais tous les travailleurs (euses) salariés (ées) sont, par-delà la tâche réalisée, producteurs (rices) de valeur ajoutée. » Je ne vois pas comment, sur le plan logique, il serait possible de faire coexister ces deux propositions. Soit, comme Marx, vous abandonnez la seconde ; soit vous la conservez, mais alors il faut renoncer à la première et, par conséquent, considérer que l'échange est créateur de valeur et rebâtir toute la théorie de la valeur-travail ; mais là, à rester au milieu du gué vous ne pouvez qu'avoir les pieds mouillés.
J'insiste par ailleurs sur le fait qu'il faut soigneusement distinguer les tâches de circulation et les tâches aux fins de circulation, et qu'une bonne partie des contradictions que l'on a cru déceler dans la position de Marx provient de cette confusion - dans le bouquin, je prends l'exemple d'un film publicitaire. La vente qui en résulte ne crée aucune valeur ajoutée ; mais le film, lui, est bel est bien une valeur d'usage dont la réalisation représente un travail productif (qu'il ait été réalisé par une entreprise spécialisée ou en interne ne change rien à l'affaire). Plus généralement, il faut précisément distinguer dans le commerce tout ce qui contribue à mettre la marchandise à disposition du consommateur (dont le transport), qui fait partie intégrante du travail collectif de production, des tâches consistant à régler les ventes, qui sont les tâches commerciales (et improductives de valeur) stricto sensu.
Pour terminer, il y a manifestement un autre malentendu. Lorsque vous écrivez que mes remarques sur le taux de profit seraient une position « redoutable car plaçant de fait les salariés improductifs (de plus-value) dans le camp "objectif" des capitalistes. » Il me semble que tout ce que j'écris par ailleurs montre qu'à la suite de Marx, je récuse totalement cette manière de voir les choses.
C'est en tout cas à mon tour de vous remercier pour cet échange.

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